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Ecrits d'Eros : Une étrange idylle
Est-ce parce que cette manifestation avait été médiatisée, qu’elle serait télévisée ? La foule arrivait bruyante mais sans confusion, envahissante mais réconfortante. Une organisation sécurisée pour un spectacle gratuit, en soirée, en été. De quoi raviver Lourdes, ville de foi et d’espérance.
Groupes associatifs et familles, handicapés accompagnés s’installèrent bien avant la présentation tardive. Le monde affluait bien au-delà des billets gracieux réservés des semaines à l’avance et créait non pas du désordre mais des rapprochements par affinités.
Astrid faisait partie de la chorale de l’église paroissiale, heureuse d’exprimer avec ses amis sa ferveur à l’égard de Sainte Bernadette Soubirous et de la Vierge Marie. Cette ambiance n’appartenait qu’à Lourdes. Son groupe était placé, en station debout pour plus de deux heures, côtoyant un autre rassemblant des jeunes muets et malentendants dont le comportement la distrayait du ronronnement grandissant du public.
La masse de croyants animés d’exaltation et d’attente se resserrait quand elle fut tout d’abord effleurée par son jeune voisin. En fait, elle crût rêver lorsqu’elle ne put repousser sa large main qui recouvrit la sienne. Une main chaude et inconnue qui cherchait sa paume pour se relier dans l’instant, peut-être pour communier. Celle d’un frère ? Celle d’un homme ? Celle d’un être.
La regardait-il comme une sainte ? Il ne quittait pas son visage altier, son front dégagé, ses yeux d’un vert irréel. Sans doute trop près l’un de l’autre pour qu’il ait une idée de ses formes, il observa juste qu’elle était un peu plus grande que lui, le jeune chrétien handicapé, épris d’amour spirituel et nourri de prières depuis l’enfance.
Autour d’eux, tout s’imposait comme un décor. L’ambiance propre aux grands spectacles les perturbait.
Soudain ni le lieu, ni ce programme prestigieux n’eurent d’importance. Leurs mains inséparables les entraînèrent en dehors de l’esplanade illuminée, loin de cette communion grandiose qui les avait attirés. C’est lui qui courait presque, anticipant chacun de leurs pas. Il connaissait la ville, ses quartiers imbus de boutiques à chapelets. Pendant que l’histoire de Jésus surgissait des enceintes et les acteurs des écrans géants, le soir lentement enveloppait les rues qui s’étaient vidées de tous ces promeneurs et clients potentiels.
Des sensations démesurées circulaient tout le long de son corps. Elle se laissa emporter par leurs mouvements à la fois de fuite et de rencontre. Où la menait-il ? Il la guida bientôt vers sa chambre, une sorte de mouchoir sous les toits frileux. Quelques marches de marbre sobre, puis un tapis à l’ancienne, un escalier en colimaçon, un parfum de poussières et d’eau bénite, puis une porte toute simple.
Qui étaient-ils pour avoir eu envie de s’échapper de leur sphère coutumière ?Déraison du soir. Oublier toute prière ici. Ne pas penser. ..
Avant d’enlacer son futur amant, elle repéra l’espace avec ses longs doigts nus, tira les lourds rideaux en velours tendresse, buta sur un crucifix qu’elle retourna, faillit tomber contre une chaise et c’est lui qui prit sa taille prononcée, ses hanches sculptées. Elle se moulait à son ombre virile maintenant qu’ils étaient volontairement dans le noir.
Son absence de paroles ? Aucun obstacle. Cette nuit avait un goût d’éternité. Certes, il était sourd et muet mais elle était mal voyante. Rien ne les empêchait de se découvrir plus encore, de se toucher sans fin, à l’écoute de leurs sens. Captivée par sa surdité, elle se mit à lui parler suavement : "Si tu savais Amour...ton corps... Ton corps est comme un arbre vivant... dont je suis le feuillage..."
S’il était pressé, il freinait sa fougue juvénile. Elle sentait qu’il n’avait rien d’un adolescent et pourtant quelque chose d’immature lui plaisait en lui. Astrid retint ses gestes un à un, comme si chaque vêtement était pétale. Elle était encore svelte. Ne refusait-elle pas le temps qui s’acharne injustement sur les solitaires ? Elle surprit sur ce beau torse soyeux, une médaille en relief qu’elle embrassa. Quel saint pour quel visage ? Chaque être est magnifique, miraculeux. Ne pas penser…
Tandis qu’il contrôlait sa force d’envie dans l’impossibilité de déclarer sa passion dévorante, sa sueur trahissait le volcan qu’il était. Astrid avait bien compris qu’il ne parlerait jamais, qu’il n’entendrait jamais leurs soupirs. Une rencontre sans honte, sans a priori qu’un lit sans frontière accueillerait.
A lui de deviner, les yeux brûlants, presque larmoyants sa beauté confirmée de lignes d’expression. A son tour, il la dénuda efficacement mais sans brusquerie. Est-ce que c’était pour l’étonner ? Il la souleva comme un bûcheron, fier de tenir entre ses bras, le premier corps merveilleux qui serait tout à lui.
Ils s’allongèrent comme un couple prés à fondre devant quatre murs impersonnels pourtant témoins de leur approche langoureuse dont Astrid calmait l’embrasement latent.
Elle aussi était exaltée et le surnommait secrètement Adonis. Liberté de dire son ivresse nouvelle, son incendie intérieur pendant qu’il l’investissait de toute sa curiosité presque animale comme s’il était affamé. Elle se retrouvait en lui, l’inconnu et sa chair existait.
De son côté, c’était la première fois qu’il accueillait des caresses aussi intimes. Il ne montra aucune résistance et s’abandonna, paupières closes à sa gestuelle. Il en aurait pleuré. Une telle initiation pour ses vingt ans ! Il était temps. Son corps n’en pouvait plus de vivre si loin de cette harmonie éblouissante.
Astrid était peut-être aveugle mais ses mains voyaient tout, savaient tout. Il acceptait toutes les audaces de la première femme de sa vie, fier d’être un homme vibrant depuis sa racine. Elle l’invita délicatement à promener ses lèvres sur son corps aussi féminin qu’une fleur tentatrice et généreuse. Ils avaient choisi de s’aimer dans le noir pour être égaux. Elle lui apprit les paysages de la volupté. Il s’attarda sur ses deux pointes de vie et se perdit dans son irrésistible profondeur.
Ne pas se noyer… Deux îles en irruption, deux corps au bord d’un bonheur indicible… Elle le convia sur elle, le serrant, le possédant de toute sa passion de vivre, l’aida à trouver l’endroit propice, puits du délice sensoriel, l’incita à un rythme tout d’abord tempéré à marquer ses assauts qui atteignirent progressivement une intensité telle qu’elle livra elle aussi ses doux délires, sa frénésie amoureuse. Il haletait presque essoufflé de tant plaisir, lâchant sa vigueur, presque vaincu par l’accélération de leurs deux cœurs.
Ne plus penser.Suzâme
(19/02/12)
« Ma rencontre avec Pénélope Estrella-Paz alias Peneloop à Montsoreau à "L'Orée des peut-être"(*)La femme-lierre (poème) »
Tags : qu’il, sans, corps, d’un, presque
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Commentaires
Bonsoir Suzâme.
Ce soir, je m'exprime sur ce texte, car il est fort. Magnifiquement fort. Impossible de ne pas reconnaître ne serait-ce qu'une partie de ses propres émois dans cette description?
Sensuel, sauvage, sublime.
Bonsoir Suzâme,
Je reviendrai prendre le temps te lire entièrement ce billet.
En attendant, bonne soirée!
Bises
Rose
Les sens en éveil, Lourdes est-elle la ville propice à l'exaltation amoureuse des corps en découverte ? sourire, je connais Lourdes et en effet cette ambiance qui n'appartient qu'à elle ... Quand on est pris par la foule en prière, en ferveur, n'est-il pas qu 'un sas, celui de l'amour ? S'échapper à travers les chapelets de ruelles pour s'aimer, a fortiori deux êtres qui se reconnaissent dans leur handicap et au delà bien sûr, car tes mots qui courent passionnément ne sont-ils pas cette reconnaissance vive entre deux êtres, et qui passera par le don des corps ... S'aimer dans le noir, forcément pour deux êtres qui dépassent la perception visuelle des choses, qui voient bien mieux avec leur corps, avec leur coeur ...
Bonsoir Suzâme
un texte superbe sur une rencontre comme un éclair de lumière éblouissante dans la pénombre.
Se reverront-ils, se reconnaitront-ils ? Peu importe, un tel moment remplit une vie, et ouvre la porte vers d'autres cieux.Gros bisous du soir, ta plume t'a portée sur une très belle inspiration
C'est très très beau ! J'ai un fils handicapé et je suis évidemment touchée par ce texte. De plus, j'ai commencé (mais pas encore fini) une nouvelle avec deux amoureux à Lourdes, cela ne ressemble pas à ton beau texte mais c'est une drôle de coïncidence quand-même... Bisous
Leur handicap leur a permis de vivre intensément leur découverte de l'autre !!! Merci pour ce récit !
Bonne journée - bisous
Monelle
Dans toute idylle, c'est un monde de sensations innattendues qui s'ouvrent aux amoureux pour comuniquer. Bises Dan
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Un lieu atypique pour une belle histoire sensuelle. Amitiés!