• Proposition d'écriture du site http://partagedesmots.forumprod.com/ : "Si vous vous mettiez à la place de votre coeur pour nous raconter ce que vous voyez, ce que vous ressentez ou autre tout en utilisant les mots : vers - pendant - sol - entre - bourse - prêt - aria-

     

    Je suis à la portée des vers que j’inspire à mon hôte et pendant qu’il est prêt à tout tenter, tout vivre pour écrire, je pressens avant lui, l’aria qui le piège déjà. Il trébuche sur le sol fissuré et continue son parcours d’élite en sursis.

    J’entre avant lui dans cette salle qui sent l’humanité, domine discrètement du regard l’ensemble des visages et m’attarde avec émotion sur chacun d’eux. Et je bats fort et crains de me faire remarquer de cette foule pourtant bruyante, insoutenable.

    L’être qui m’habite se replie, se cache tout en cherchant debout, encerclé par la foule, le pouls du monde.

    Brusquement, son cri résonne jusqu’à m’effrayer. «Ma bourse ! Qui a pris ma bourse !» hurle-il en tournant et retournant sa tête comme un fou vers les inconnus.

    Cette âme magnifique est riche de mon cœur et même rimeur, le poète réclame l’argent volé au lieu que d’entendre le rythme de sa vie. Il s’emballe, je le sais, puisque c’est moi qui l’entraîne à ses limites. Soudain, l’homme s’écroule. Il ne m’entend toujours pas. Quelques uns se penchent sur lui dont un qui énergiquement le dénude.

    Lui, mon corps transpire et j’ai maintenant peur de mon abandon. Ne pas le laisser là sans qu’il ait eu encore conscience de mon existence. Je me calme, me reprends.

    A l’instant, plus rien ne compte que sa vie. 

     

     

    Suzâme

    (5/04/11)

     

    N.B. Remarque du coeur : dans cette situation, j'ai choisi et préféré être le coeur d'un homme. J'ignore pourquoi je n'ai pas voulu battre dans le corps d'une femme. Peut-être parce qu'elle m'aurait écouté !


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  • 60748 447064882 1 450

     

    "L'homme sur le banc" de Jo Soussan

    Site : fr.arquid.com

     

    Sur un banc usé, ses longues mains sur ses genoux de marbre, presque dénudé dans ce froid parisien, l'homme semble scruter le silence. Il le modèle en pensées. Quelques passants l'observent, et, attirés par son calme démesuré, presque inconcevable ici, en plein boulevard, ralentissent à leur insu la marche infernale de leur quotidien.

    Ce n'est pas lui, cette silhouette assise, proche et inaccessible, qui parlera de son attitude mais c'est lui que les regards interpellent, tour à tour affolés ou rassurés par la pause de cet étrange solitaire de la capitale. Certains reconnaissent en lui la méditation, cette force intérieure intransmissible, d'autres l'effleurant, rencontrent en lui et son regard sans couleur, l'appétit d'une autre vie que sages et poètes éprouvent sans la nommer..

    L'attente, cette source sans note et sans miroir repose sur un désir immense comme l'existence s'entend silencieusement et s'étend pour cet être présent et suspendu à une dimension inconnue des passeurs comme un élan sans geste, sans mots, vers l'éternité.

     

    Suzâme

    (5/04/11)


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  •  

    "....C'est un jour que l'on rêve

    dans le regard de l'autre..."

     

     

    Pascale Locquin est auteur-compositeur-interprète. Sa plume est un morceau de son coeur, sa voix est un morceau de son corps et ses morceaux confondus font une vie à fleur de mots. Je vous propose cet extrait d'une de ses dernières chansons inédites et vous propose de la découvrir sur son blog.

     

     

    http://www.myspace.com/pascalelocquin


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  • Elle ne dort plus et déserte les heures, refuse de croiser un seul mur, une seule fenêtre. Elle ferme son regard face aux visages inconnus et ceux, devenus étrangers, qu’elle a aimés. Elle est là de toute sa présence et a décidé à minuit de choisir ses livres et de les sceller à son corps amaigri, à sa transparente nudité pour les garder au plus près d’elle. D’abord les petits formats de sa jeunesse et de sa maturité tout le long de ses jambes exilées et de ses bras si tendus, étendus mais seulement après avoir posé sur son buste affaibli quelques volumes plus essentiels : Un Victor Hugo inépuisable sur ses seins aux boutons de fleurs endormis, un Aragon d’amour sur son ventre blême, sans lascivité ; entre les deux espaces encore tremblants, un Rimbaud ouvert sur ses voyelles… Presque immobile sur le sol gris et glacé, elle continue son installation avec des gestes ralentis par une pensée détachée du lieu, des leurres. Elle descend sans s’attarder sur son jardin orphelin… mais avant, sur le bout de ses pieds, un Prévert d’Enfance, Un Eluard à l’Orange bleue. Elle remonte vers son écrin de chair avec un Poète anonyme, aux sensuelles folies censurées, un contemporain peut-être, simple donneur de vers. Puis pour ce qui reste de sa silhouette attristée, point de livres sacrés mais deux magnifiques dictionnaires à la reliure sobre, patinée, l’une verte rappelant les forêts et l’océan mêlés, l’autre rouge, imprégné de vie et d’amour, aux pages grandioses, séparées, non écartées comme des paysages offerts aux rêves. Sur elle, la mythologie et le langage d’infini. En dernier, juste sur sa bouche esseulée, sur ses lèvres soumises à l’intériorité, est-ce afin de la délivrer du noir obsédant ou du néant? Un Bobin pour l’âme.

    Le silence envahit sa chambre délaissée. Une sorte d’omniprésence qu’elle supporte enfin sous ses livres complices. Elle respire encore mais aux appels insistants, bouleversés, tait son nom. La Poésie maintient son cœur fébrile de femme juste fatiguée de lutter contre d’incontournables écueils.

     

    Suzâme

    (2/04/11)

     

    P.S. Texte lu ce soir, avec beaucoup d'émotion, à voix haute, allongée avec quelques livres parsemés et ouverts sur mon corps habillé, parmi quelques lecteurs-auditeurs de Nanterre PoéVie lors d'une rencontre magique à "Lire aux étoiles" organisée par Aïcha Hebieb.


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  • "Nîmes, le 18 janvier 1915

    (…)

    Maintenant, je te prie de ne plus me chiner sur le métier de poète. Je sais bien que c’est gentiment mais c’est une habitude que tu prendrais facilement. D’abord être poète ne prouve pas que l’on ne puisse faire autre chose. Beaucoup de poètes ont été autre chose et fort bien – (je t’écris à la cantine – excuse ce papier, Lou chéri –). D’autre part, le métier de poète n’est pas inutile, ni fou, ni frivole. Les poètes sont les créateurs, (poète vient du grec et signifie en effet créateur et poésie signifie création) – Rien ne vient donc sur terre, n’apparaît aux yeux des hommes s’il n’a d’abord été imaginé par un poète. L’amour même, c’est la poésie naturelle de la vie, l’instinct naturel qui nous pousse à créer de la vie, à reproduire. Je te dis cela pour te montrer que je n’exerce pas le métier de poète simplement pour avoir l’air de faire quelque chose et de ne rien faire en réalité. Je sais que ceux qui se livrent au travail de la poésie font quelque chose d’essentiel, de primordial, de nécessaire avant toute chose, quelque chose enfin de divin. Je parle de ceux qui, péniblement, amoureusement, génialement, peu à peu peuvent exprimer une chose nouvelle et meurent dans l’amour qui les inspirait. Voilà, Lou, encore une lettre trop longue, si tu la lis, bien, sinon je me vengerai en poète, c’est-à-dire divinement et tu sais que la vengeance est le plaisir des dieux. Je t’aime mon Lou, mais je suis fâché que dans tes lettres de maintenant tu sembles moins fortement à moi, ce semble, qu’il y a quelques jours. Mais je suis content tout de même en prévision de la permission.

    Je t’aime, Amour.

    Gui."

     

     

    Guillaume Apollinaire, "Lettre du 18 janvier 1915" (extraits) dans Lettres à Lou, Collection "L’Imaginaire", © Éditions Gallimard, 1990.

     

    N.B. Une participante de notre rdv lecture mensuel Nanterre Poévie a commencé la soirée avec cette letttre... Quel beau partage!


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