• Ici, l'enfance...

    Ici, ce n’est pas un château pourtant la table est longue, immense. Au bout, l’homme au chapeau. Sais-je déjà qu’il est chasseur ? Il est aussi l’homme aux chiens. J’entends de ma place, assise sur un banc interminable, j’écoute son silence. Je sens aussi l’arôme de mon enfance à travers ses grandes assiettes de soupe au pain et la fumée qui  réchauffe mes attentes.

    Ici, c’est une maison au bord d’une route qui mène loin, trop loin, vers Paris.

    Et j’aime rester dans la pièce aux tableaux, à regarder fixement les murs où une tête de cerf, altière et immobile, paralyse mes rêves ; où les fusils soigneusement rangés me laissent sans réponse.

    Je suis petite comme le «Chaperon rouge», mon histoire préférée. Sage, un peu craintive… et l’homme attentif interroge mes yeux. Moi non plus je ne dis rien. Sa femme répond à ma petite présence par des gros baisers sonores qui m’impressionnent. Je ne suis pas tout à fait seule. Ici, tout est accueillant. A mes côtés, sur le banc de l’enfance, une autre petite fille du même âge mais riante, qui connaît ce lieu où nous nous rattachons, par cœur. C’est son royaume et elle m’a accepté moi, la petite de l’autre bout du monde, sa cousine de Paris, pour un temps inconnu puisqu’il n’y a pas d’école, pour un temps qui s’enfouit dans le non-dit.

    Oh ! la soupe est bonne, brûlante comme le silence de la pièce pendant le dîner. Enfin le bruit des cuillères résonne dans l’assiette rustique de nos solitudes.

    Je mange ma soupe, suspendue aux visages des grands, des ogres mais eux ne mangent pas les enfants, ils les gardent devant la cheminée, ils les sortent sur les chemins de campagne pour leur donner une bonne santé.

    C’est le soir, je ne veux pas aller au lit mais ne le dit jamais. La nuit m’éveille comme un univers où chaque étoile me murmure : «et ta maman ?» Alors, mon oreiller me cache les ombres tandis que je persiste à surprendre la moindre lumière sous la porte ou entre les volets fébriles de la chambre sombre et triste comme l’éloignement.

    C’est le soir, l’armoire me parle de ses secrets que je ne comprends pas. Moi aussi, j’en ai et je me les dis sous les draps, sous l’édredon, ventre de plumes, qui me rend malade.

    Quand je respire trop fort parfois ma tante avance vers mon visage aux fièvres intérieures, s’inquiète des battements de tambour de mon cœur haletant. Elle est forte et gentille. Je l’entends toujours venir avec son sirop guérisseur. Je ne veux pas dormir et ne sais pas encore pourquoi ? Il n’y a pas de pensées mais les murs renvoient cette éternelle attente du lendemain.

     

    Ecrit lors d'une journée découverte proposée et animée par l'Aleph - Résumé de la consigne: Premier souvenir à travers un lieu.(mémoire et imaginaire)

    (11/12/10)

    « "Porteuse de poésie" ?Renaître, revivre, tout refaire »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 2 Février 2011 à 20:43
    Les chemins d'Anne L
    J'entrais dans une autre lumière où tout semblait accueil. Silencieuse, je recevais la chaleur de leur soupe. La nuit, j'appelais l'éveil, rester là auprès d'eux, ce grand échappatoire. Je refusais l'oreillé où ma tête s'était trop souvent enfouie.
    Quelques mots en échos à votre beau texte. Anne
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