• En retard Défi 61 : LA VALISE DE THEO

    Les trottoirs vides. Un grand silence de ville. Le jour débute son numéro d'aisance appelé « Petit matin ».

     

    Théo rôde déjà dans son quartier préféré dessiné en grandes avenues. Sa promenade commence toujours Place de l'Etoile à Paris, capitale de vie et de survie.

     

    Il est là depuis l'aube pour guetter le moindre trésor dépassant en principe d'une poubelle quand à environ deux mètres de ses pieds négligés, il surprend une haute valise rigide toute seule près d'une berline indifférente. Sans se poser de questions, il s'approche et ne voyant aucun quidam, la soulève afin que ses roues n'effrayent pas le bitume. Ne pas faiblir. C'est facile à dire. Il y a longtemps que ses bras ont perdu les muscles de sa jeunesse. Il fait vite pour contourner les lieux, l'endroit précis de sa chance. Non loin, il repose l'encombrant objet d'un coloris sobre, heureusement pour lui. Premier réflexe d'homme des rues, protéger sa prise en la maquillant. Alors qu'il peut enfin la faire rouler discrètement dans une des rues des alentours, il prend quelques immondices pour la travestir en bagage de S.D.F. (Suis Dans le Foin), puis d'une façon plus énergique s'éloigne du quartier pour rejoindre son amie la Seine et son acolyte d'existence, un pont sans nom.

     

    Il préfère attendre toute la journée devant sa l'objet de sa convoitise en s'interrogeant ironiquement sur son contenu, en l'imaginant comme un enfant un peu vieilli devant une malle en or. Dans son coin de solitude lorsqu'il est vraiment sûr de ne pas le partager même avec un rat, même avec un chat, scrutateur de délires et de misère, Théo se parle à voix haute. Cela lui fait énormément de bien, le libère, le réconforte. Et il se dit:

     

    « J'parie qu'il y a au moins deux costumes

    et sur des cintres, s'il vous plait

    Allez ! Quatre chemises mais pas de plumes

    Deux gilets de soie, s'il vous plait

    Cinq cravates de pendu: respect, séduction

    Confiance en soi, amour propre, ambition.

    J'parie qu'il y a des accessoires de toilette

    qui sentent bon l'homme honnête

    Une paire de pompes noires et luisantes

    des chaussettes anglaises toujours partantes

    Quelques catalogues richement spécialisés

    pour clients trop bien rasés... »

     

    A minuit, heure de Notre-Dame, il force l'imposant réceptacle avec un trombone de voleur, puis un canif de paysan. Cela ne suffit qu'à l'entrouvrir. C'est le roi de l'outil, monsieur Tournevis qui achève le travail sans esquinter la belle, la belle valise de l'Avenue de Wagram.

     

    Il est stupéfait, bouleversé par sa découverte inespérée. Son regard s'allume sur une présentation de victuailles. De quoi se nourrir pendant une semaine sans bouger et contempler le fleuve, lui dire en poésie de pauvre, au poivre et à la guimauve, ses petits bonheurs et ses épreuves.

     

    A l'intérieur, une mallette à l'ouverture facile, en matière plus souple, plus légère et dedans... Et dedans, incroyable! Deux rangées de conserves de luxe, s'il vous plait. Trois bonnes bouteilles de vin aux étiquettes de rêve. Tout pour un premier festin de lune. Et Théo ne s'en prive point, ralentissant ses gestes, ses mouvements de bouche pour déguster la richesse du mets. Il manque du pain, son seul chagrin.

     

    Suzâme

    (17/08/11)

    « En route vers les cannasMusée de la sculpture en plein air avec Hauteclaire »

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  • Commentaires

    8
    Jeudi 18 Août 2011 à 09:47
    Catheau

    Une distanciation pleine d'ironie et de poésie, qui donne une atmosphère très particulière à votre texte. Mais la compassion est là aussi, infiniment présente.

    7
    Mercredi 17 Août 2011 à 21:44
    Plume

    J'ai passé beaucoup de temps sur ton texte ...Il est profond, riche ... les mots et les styles sont très appropriés, et les pistes de réflexion sont multiples . La déchéance, la solitude, la peur, le repli sur soi, la survie, le rêve, le bonheur éphémère . La dernière phrase est bouleversante : il manque du pain, son seul chagrin ... le pain quotidien pour écrire les lendemains ?

    Chapeau, Suzâme ! Bises .

    6
    Mercredi 17 Août 2011 à 18:50
    valdy

    Merci Suzâme, pour ce conte de Noël en été. Très agréable à lire.

    Valdy

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    5
    Mercredi 17 Août 2011 à 17:10
    Mireille

    J'aime beaucoup l'originalité avec laquelle le thème est développé et puis, quelle belle écriture. Merci pour ce partage.

    4
    Mercredi 17 Août 2011 à 15:10
    m'annette

    c'était la malle aux trésors!

    Pourvu qu'elle lui dure un certain temps!

    bises

    3
    Mercredi 17 Août 2011 à 14:36
    Monelle

    D'accord... c"est mal de voler ! mais il valait mieux pour lui de la nourriture que de beaux habits... pour une fois lle destin c'est bien occupé de lui !

    Bisous

    2
    Mercredi 17 Août 2011 à 14:20
    Hauteclaire

    Coucou Suzâme,

    un moment de vrai plaisir dans une vie plus que difficile ! D'où pouvait venir cette valise et son festin ... qui sait, un cadeau du ciel ? Mais aussi la joie d'anticiper, de découvrir en imagination.

    Tu as bien fait de prendre cette valise, et de nous la faire partager, elle est merveilleuse !

    Merci à toi pour ce moment, et des bisous

    1
    Mercredi 17 Août 2011 à 12:46
    Nina Padilha

    Si l'argent est le nerf de la guerre, le pain reste la moëlle de vie...
    Il n'aurait jamais osé manger des cravates ou se déguster des chemises.
    Parfois, un simple fruit apporte plus de lumière aux yeux qu'un nouveau jour de soleil.
    Bonne journée.

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