• Elle ne dort plus et déserte les heures, refuse de croiser un seul mur, une seule fenêtre. Elle ferme son regard face aux visages inconnus et ceux, devenus étrangers, qu’elle a aimés. Elle est là de toute sa présence et a décidé à minuit de choisir ses livres et de les sceller à son corps amaigri, à sa transparente nudité pour les garder au plus près d’elle. D’abord les petits formats de sa jeunesse et de sa maturité tout le long de ses jambes exilées et de ses bras si tendus, étendus mais seulement après avoir posé sur son buste affaibli quelques volumes plus essentiels : Un Victor Hugo inépuisable sur ses seins aux boutons de fleurs endormis, un Aragon d’amour sur son ventre blême, sans lascivité ; entre les deux espaces encore tremblants, un Rimbaud ouvert sur ses voyelles… Presque immobile sur le sol gris et glacé, elle continue son installation avec des gestes ralentis par une pensée détachée du lieu, des leurres. Elle descend sans s’attarder sur son jardin orphelin… mais avant, sur le bout de ses pieds, un Prévert d’Enfance, Un Eluard à l’Orange bleue. Elle remonte vers son écrin de chair avec un Poète anonyme, aux sensuelles folies censurées, un contemporain peut-être, simple donneur de vers. Puis pour ce qui reste de sa silhouette attristée, point de livres sacrés mais deux magnifiques dictionnaires à la reliure sobre, patinée, l’une verte rappelant les forêts et l’océan mêlés, l’autre rouge, imprégné de vie et d’amour, aux pages grandioses, séparées, non écartées comme des paysages offerts aux rêves. Sur elle, la mythologie et le langage d’infini. En dernier, juste sur sa bouche esseulée, sur ses lèvres soumises à l’intériorité, est-ce afin de la délivrer du noir obsédant ou du néant? Un Bobin pour l’âme.

    Le silence envahit sa chambre délaissée. Une sorte d’omniprésence qu’elle supporte enfin sous ses livres complices. Elle respire encore mais aux appels insistants, bouleversés, tait son nom. La Poésie maintient son cœur fébrile de femme juste fatiguée de lutter contre d’incontournables écueils.

     

    Suzâme

    (2/04/11)

     

    P.S. Texte lu ce soir, avec beaucoup d'émotion, à voix haute, allongée avec quelques livres parsemés et ouverts sur mon corps habillé, parmi quelques lecteurs-auditeurs de Nanterre PoéVie lors d'une rencontre magique à "Lire aux étoiles" organisée par Aïcha Hebieb.


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  • 18474  schabrieres.wordpress.com

    Parfois je m’endormirais bien sur un immense bras d’eau pour être calme, apaisée, peut-être sereine. Je m’abandonnerais aux courants de la paix, sans plus penser ni rêver, heureuse dans le sommeil des âmes délivrées des ascensions lunaires, des luttes dérisoires et des vertiges de lucidité de l’invisible poète.

    Pourtant je retiens cette intemporelle tentation de la dérive. J’aime la vie. J’aime d’amour. Dormir n’est pas mourir.

     

    Suzâme

    (10/03/11)


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